La fête des récoltes

La fête des récoltes

Dans bien des églises, rurales ou d’obédience luthérienne, un « culte des récoltes » est organisé chaque année à l’automne.

Mais pourquoi une telle fête ?

Dieu est-il présent dans le blé, dans le raisin ou dans les légumes de notre potager ? Le christianisme n’est-il pas une religion qui cherche justement à s’émanciper de la nature et de tout ce qui pourrait ressembler à de l’idolâtrie ?

 

Depuis que nous avons cessé d’être chasseurs-cueilleurs pour nous sédentariser et devenir agriculteurs, nous avons vénéré des déesses-mères à la fois protectrices des récoltes mais aussi de notre fécondité. Déméter la grecque et son équivalente latine Céres eurent les mêmes fonctions…

 

La fête des récoltes tire son origine dans le contexte cananéen, et ce avant l’arrivée du Judaïsme. Comme les autres fêtes, elle a été reprise et modifiée pour qu’elle ne soit plus une fête païenne mais une fête en l’honneur de Yahvé.

 

Il existait alors trois fêtes de récoltes : a) la fête des Mazzot, le pain non levé, célébrée lors de la récolte de l’orge ; b) la fête des moissons du blé, Chavuot, célébrée sept semaines après Mazzot, aussi appelée fête des semaines ; et c) la fête des tabernacles, Sukkot, fête des récoltes des fruits et du vin. Celle-ci est devenue progressivement « la » fête des récoltes par excellence.

 

Israël va donner une signification symbolique à ces trois fêtes. Mazzot, va commémorer la sortie d’Egypte, Chavuot, la révélation de la loi sur le mont Sinaï et Sukkot, le séjour au désert du peuple hébreu.

 

Le christianisme reprend à son tour cette tradition en l’adaptant puisque Mazzot devient la fête de la Résurrection : Pâques, Chavuot devient la fête de la Pentecôte. Avec le temps, le christianisme a progressivement pris de la distance avec la création au point de laisser complètement tomber la dernière fête, celle de Sukkot.

Or celle-ci, rappelle justement au peuple hébreu que c’est Dieu qui l’a fait sortir d’Egypte et que donc, à travers la précarité d’une simple tente, chacun peut se rappeler que sa vie ne dépend que de Dieu seul.

Alors aujourd’hui, dans notre société moderne et technicienne, dans laquelle moins de 10% des gens vivent de la terre, remettre à l’honneur la fête des récoltes, ce n’est pas retomber dans le paganisme et l’idolâtrie. C’est au contraire chercher à réconcilier l’homme avec Dieu en lui montrant que sa vie ne dépend que de Dieu. Il s’agit de retrouver, dans les bienfaits que nous obtenons de la nature, l’activité créatrice et bien vivante de Dieu.

Parmi tous ces fruits qui nous sont proposés, j’ai choisi aujourd’hui le plus biblique d’entre eux : la vigne, cueillant au passage quelques grappes proposées par notre Présidente Emmanuelle Seyboldt dans sa vigne camarguaise.

La vigne à l’origine du vin, élément de l’eucharistie. Cette vigne culturelle et cultuelle que l’on retrouve tout au long du Chemin Français de St Jacques de Compostelle, datant, parait-il,de l’époque où les pèlerins communiaient sous les deux espèces.

Mais surtout une vigne symbolique : quand Jésus utilise cette image, elle est loin d’être neuve. Dans le premier Testament, la vigne représente le peuple que Dieu s’est choisi. Et les prophètes annoncent l’amour, l’attention ou la colère de Dieu avec cette image. Quand Dieu montre son amour à son peuple, il est décrit comme le vigneron amoureux, qui prend soin de la vigne, l’entoure d’un mur pour la protéger des bêtes sauvages, construit un pressoir et une tour pour veiller sur les voleurs. Mais quand Dieu est en colère, le prophète annonce que la clôture de la vigne va être renversée et la vigne livrée en pâture aux animaux.

Poursuivant la tradition du judaïsme, Jésus va mettre en scène cette image du peuple-vigne, par exemple dans la parabole des vignerons meurtriers. Il s’agit alors de critiquer voire d’accuser les responsables et les chefs qui ne prennent pas soin du peuple. Ou encore dans la parabole des ouvriers de la 11ème heure, il s’agit pour les ouvriers d’être envoyés pour travailler dans la vigne, peuple choisi par Dieu.
Voilà donc une image simple, de la vie de tous les jours dans la Palestine du temps de Jésus, un symbole courant pour  les connaisseurs de la Bible.
Pourtant, quand Jésus, dans l’évangile selon Jean, tient ce long développement viticole, il opère un véritable déplacement du sens de l’image. La vigne n’est plus le peuple que Dieu s’est choisi, mais Jésus lui-même.

La première grappe est l’identité :

Je suis la vraie vigne, c’est moi qui suis la vraie vigne… Dans l’Evangile de Jean, Jésus énonce sept « Je suis » : Je suis le pain de vie, je suis la lumière du monde, je suis la porte, je suis le bon berger, je suis la résurrection et la vie, je suis le chemin, la vérité et la vie, et enfin, le dernier « Je suis la vigne, vous êtes les sarments ». Sept « je suis » parmi lesquels le pain et la vigne…
Sept « je suis » qui devrait permettre au lecteur d’en savoir un peu plus sur Jésus, mais qui dévoilent sans dévoiler.
Comme Dieu lui-même, rencontrant Moïse du cœur du buisson ardent. Quand Moïse demande le nom de celui qui lui parle, Dieu répond « Je serai qui je serai » (le futur signifiant que rien n’est  achevé). « Tu diras aux enfants d’Israël « Je serai» m’a envoyé vers vous » (Exode 3 : 13-14)
Jésus reprend ce « Je suis » à son compte. Il dit quelque chose de son identité, mais elle reste insaisissable, comme celle de son Père.

Si le peuple est la première vigne, Jésus lui est la vigne véritable, choisi par Dieu, parce qu’il est toujours demeuré dans l’amour du Père (v.10). C’est sa fidélité de Fils choisi, unique, qui atteste qu’il est la vraie vigne. Son identité, Jésus ne l’a pas conquise, elle lui a été donnée par son Père.
Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron.

Je suis la vigne, dit Jésus, vous êtes les sarments.  Moi, un sarment ? Attaché, rivé à la vigne ? Soumis au caprice de celui qui va venir couper, ou ramasser la grappe ? Moi un sarment ? Sans liberté ni autonomie ? Condamné à n’être que celui qui porte le fruit, sans aucune décision ? Inacceptable. Sans compter que Jésus ajoute : tout sarment qui ne porte pas de fruit, on l’enlève. Et celui qui en porte, on l’émonde pour qu’il en porte davantage encore. Vraiment, cette image est extrêmement pénible pour un être humain épris de liberté, d’autonomie, de libre arbitre, comme moi !

Pourtant, la liberté n’est pas nécessairement antinomique de l’attachement. Il y a lien et lien, lien d’amour et liens prisons, lien d’attachement qui porte du fruit, et lien de contrainte qui est stérile. Le lien auquel le Christ nous invite, est un lien de vie qui ne nous prive aucunement de notre liberté. Être lié mais libre. Voilà une réalité difficile à comprendre. Car elle est à vivre plus qu’à comprendre, à vivre ensemble, les uns avec les autres. Il s’agit plus du lieu d’enracinement, du lieu où l’on puisse sa nourriture.

La deuxième grappe est le don :

Je suis la vigne, vous êtes les sarments : cette situation de sarments, cette condition de disciple nous est donnée. Nous n’avons pas choisi de recevoir l’Évangile, nous n’avons pas choisi d’être rencontrés par le Christ, c’est un don. Nous ne pouvons pas nous enorgueillir de cette condition de disciple qui est la nôtre, elle nous est donnée gratuitement.

Sur la vigne, il y a des sarments. C’est ainsi. Plus encore, sur la vigne qu’est le Christ, les sarments sont très divers. Certains portent un peu de fruits, d’autres beaucoup, et ils sont même taillés pour en porter plus. Et puis certains n’en portent pas. Sur la vigne-Christ, certains sarments sont secs.  « Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève ». Mais pourtant, en Christ, il y a des sarments qui ne portent pas de fruit. En Christ. Pas en dehors de lui. Et c’est le Père qui fait le patient travail de taille.
Ce petit verset est précieux : il me redit, si c’était nécessaire, que le jugement n’est pas mon boulot. Ce n’est pas à moi, ce n’est pas à nous de savoir qui fait bien ou pas, qui est dedans ou dehors, qui est appelé et qui ne l’est pas, qui est juste devant Dieu et qui ne l’est pas. Et même, qui porte du fruit et qui n’en porte pas. Depuis quand le sarment va-t-il se mêler de couper le sarment voisin ? Quelle prétention ! En Christ, certains serments sont secs, et c’est ainsi. Nous n’avons pas à nous mêler de cela. Ce n’est pas notre affaire !

Quant aux sarments, à tous les sarments quels qu’ils soient, ils ont reçu un don : l’identité de sarment. Et ce don appelle notre reconnaissance. Je pense à nos cultes d’action de grâce lors d’enterrements lorsque nous remercions le Seigneur d’avoir mis ces sœurs ou ces frères sur notre route…

Nous ne choisissons pas nos voisins de ceps, une bonne entente n’est pas toujours évidente. Mais quand nous sommes séparés de nos frères et sœurs, nous sommes détachés du Christ lui-même. Cette image nous interpelle vigoureusement sur notre capacité à surmonter nos désaccords, au nom de notre identité semblable et donnée de sarment.

La troisième grappe est la responsabilité :

Le don qui est fait aux sarments n’est toutefois pas sans contrepartie puisqu’il leur est demandé de porter du fruit. Mais ce fruit consiste simplement à accepter ce que le Christ fait en nous. Notre responsabilité serait alors plutôt de ne pas faire barrage, de ne pas empêcher l’Esprit d’agir en nous. Il y a toujours de mauvaises bonnes raisons pour essayer d’échapper à notre responsabilité. Occupations prioritaires, obligations familiales, et puis « la raison »… ce n’est pas raisonnable… Souvent, l’Evangile nous conduit à faire des choses déraisonnables. Je crois même que c’est la marque de fabrique du chrétien : notre responsabilité nous conduit à des actes déraisonnables. Le Christ n’a-t-il pas lui-même montré la voie en donnant sa vie pour ses amis ? Scandale pour les Juifs et folie pour les païens, l’amour de Dieu entraîne les croyants sur des routes bizarres, inattendues et insoupçonnées. Cette identité, donnée et reçue, nous invite à la responsabilité.

Jésus le dit trois fois : « demeurez-en moi ». On peut considérer que c’est très statique, immobile, qu’il ne s’agit pas d’actes héroïques !  A la toute fin de notre passage, Jésus précise « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ». Garder, c’est aussi un verbe très statique à priori. Pourtant Jésus précise : « comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour ». La vie de Jésus est résumée dans cette phrase. Autant dire qu’il ne s’agit pas de rester passif. Garder les commandements,  c’est en vivre et les vivre ! Quitte à ce qu’ils nous conduisent là où nous ne pensions pas aller.
Garder les commandements ne signifie pas les embaumer pour être certain qu’ils gardent leur forme initiale ! Bien au contraire, il s’agit de les vivre et de les conduire à être transformés par la vie.

 

Quatrième grappe : la Joie

« Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite ».
Notre joie est parfaite quand, sarments tous enracinés dans le Christ, nous vivons tous de sa joie, dans l’amour, qui est le commandement suprême.
Les sarments ne peuvent pas être heureux tout seuls. On ne peut imaginer une vigne où pousserait un seul sarment ! Non, le Christ est cette vigne exubérante, luxuriante, dont tous nous recevons la vie, dont tous nous nous nourrissons et nous réjouissons.

 

 

La communion des charismes, la rencontre d’étrangers dans un temple malgré des langues ou des sensibilités différentes, l’Esprit qu’on peut sentir souffler lors de célébrations : les occasions de se sentir frères et sœurs d’une même communauté, de nous sentir liés et reliés (sens du mot religion) en Christ sont évidentes.

Au-delà  de cette condition humaine que nous partageons, et qui fait de nous des frères des hommes, tâchons d’être des sarments chargés de grappes guidés par l’amour bienveillant du vigneron et de son fils

 

Amen

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