Pardonner, difficile?
17 septembre 2017 Draguignan Saint-Raphaël
Genèse 50, 15-21
La Genèse, ce 1° livre de la Torah, après avoir commencé par le meurtre d’Abel par son frère, se termine par le pardon accordé par un frère aux frères qui ont voulu l’éliminer.
La saga de Joseph, vous connaissez : elle vaut bien les feuilletons américains pleins de rebondissements et de dynamique avec les gentils et les méchants, les luttes de pouvoir et les retournements de situation. Rappelons-en les grandes lignes :
Joseph était le 11° fils de Jacob, lui-même petit-fils d’Abraham.
C’était le seul né à Harran de la femme qu’il aimait = Rachel. Le 12° fils, Benjamin, naîtra en cours de route et causera la mort de sa mère. Cette route le ramène vers son père Isaac et le pays que Dieu avait donné à Abraham.
Forcément, fils de son épouse préférée, Joseph était le chouchou de Jacob, en plus il était beau ! On le voit bien se pavanant dans la tunique princière offerte par son père, tandis que ses frères plus âgés triment dans les champs. Il a en outre la naïveté de raconter à ses frères ses songes qui le placent en position de supériorité. Et « Ses frères le prirent en haine » (37 v 4).
Ils vont le vendre à une caravane qui allait en Egypte. Là il sera esclave du grand sommelier du palais, qui ne tarde pas à remarquer que « tout réussit à Joseph, car la bénédiction du Seigneur était avec lui ». Après mensonges de la femme et séjour en prison où il interprète les songes des grands de la cour, il sera appelé auprès de pharaon pour interpréter le fameux songe des 7 vaches grasses et des 7 vaches maigres, et proposer sa solution de faire des réserves de vivres. Joseph devient alors le majordome de Pharaon et met sa politique en pratique. Lorsque la famine vint « tout le monde venait en Egypte pour acheter du grain à Joseph car la famine était rigoureuse sur la terre entière » (41 v 57) ; Jacob y envoie donc ses 10 aînés. Joseph les reconnut mais eux non. Il les traite durement, mais déjà alors Joseph pleura (42 v 24). Au 2° voyage des frères, ils sont 11, et Joseph pleurera de nouveau en voyant Benjamin le plus jeune (43 v30). Subterfuge encore et drame à propos de Benjamin, 2° chéri du père Jacob-Israël. Là Joseph abat son masque et sanglote en se faisant reconnaître de ses frères (45 v 2). Il leur raconte comment l’ignominie de ses frères, lui la voit comme une belle action de Dieu pour les préserver de la famine. Pour lui ce n’est pas eux mais Dieu qui l’a envoyé en Egypte. Et « il embrasse tous ses frères et les couvrit de larmes » (45 15). Il envoie chercher son père et Dieu s’adresse à Jacob-Israël « Ne crains pas de descendre en Egypte car je ferai là-bas de toi une grande nation. Moi je descendrai avec toi en Egypte et c’est moi aussi qui t’en ferai remonter » (46 v 28) = 70 personnes de sa maison vinrent donc en Egypte. Joseph pleure encore en revoyant son père qui bénira ses fils au nom de son Dieu, le Dieu d’Abraham et d’Isaac en promettant que ce Dieu les fera revenir au pays (ce sera l’Exode). A la mort du père Joseph pleure de nouveau, puis le conduit au tombeau familial près d’Abraham et Sara et d’Isaac et Rébécca.
Là commence notre texte, final de la Genèse.
Ces frères n’ont pas trouvé la paix malgré toutes ces années. Bien sûr ils ont été comblés de bienfaits par leur frère, mais dans le scénario vous constaterez des embuscades, des jeux « politiques » de Joseph dans le pire sens du terme. D’où leur crainte qu’après la mort du père il se retourne contre eux, et ils redoutent que, maintenant qu’il n’est plus là pour souder la famille, Joseph se venge. Ils prennent conscience de leur précarité. Ils vivent dans un pays étranger, leur frère en est un haut dignitaire, et ils dépendent donc entièrement de lui.
Entre eux reste le souvenir de leur faute.
La seule valeur qui leur reste est la religion du père, mais est-ce aussi la leur ? Ils ne semblent pas avoir conscience d’avoir transgressé les exigences d’une foi personnelle, mais uniquement de celle de leur père. C’est pourquoi ils se sentent menacés.
Et pourtant, la seule mention de la foi de leurs pères fait pleurer une 7° fois Joseph.
Ces larmes sont sa confession de foi personnelle. C’est le moment où lui apparaît aussi le bilan de sa vie, le moment qui le fait grandir, qui le rendra capable d’aller concrètement vers la réconciliation en cessant de « jouer » les chefs !
Effectivement Joseph peut être plus que satisfait. Non seulement, il a obtenu tout ce dont un homme peut rêver – reconnaissance sociale, une famille, l’exercice de ses compétences et la richesse – mais il perçoit aussi dans sa vie la bénédiction de Dieu qui l’a accompagné partout où il est allé, et qui ne l’a pas quitté même pendant les moments très difficiles. Le Dieu de Joseph est un protecteur puissant. Il est source de sagesse et a rendu Joseph capable de maintenir en vie, pendant la famine, un grand peuple -les Égyptiens- et en même temps d’assurer la naissance d’un autre peuple, le sien -les Hébreux. Mais ce Dieu est aussi exigeant et lui indique la voie du pardon. Les frères mentionnent la communauté de leur foi. Car ils savent que le pardon n’est pas une affaire qui se passe uniquement sur le plan humain : il s’enracine dans la relation de l’homme avec Dieu.
Or Joseph voyant sa vie qui, malgré tous ses aléas, déborde de bonheur, d’honneur et de richesses, se rend compte que Dieu qui l’a comblé de bénédictions attend de lui quelque chose qui soit à la hauteur de ce qu’il lui a accordé. Il attend de Joseph qu’il comprenne que tous les événements passés étaient englobés dans l’œuvre de salut que Dieu veut pour les hommes. Et donc qu’il fasse dans sa vie personnelle et familiale la même chose que dans sa vie professionnelle : sauver des vies et leur donner un avenir. Dieu attend de Joseph qu’il aide ses frères à en finir avec le passé et à construire une relation nouvelle sur une véritable réconciliation, pas sur l’asservissement que les frères proposent. Seulement alors, le chemin sera libre pour que, tous ensemble, ils deviennent les ancêtres d’un grand peuple, le peuple de Dieu.
C’est ainsi que Joseph comprend qu’il ne peut pas se mettre à la place de Dieu ! Il reconnaît qu’il n’a pas lui-même la force de pardonner. Il comprend que Dieu se situe autrement, et que c’est Dieu qui pardonne. Il n’est pas au-dessus de ses frères, mais il est avec eux. Le Dieu qui a restauré la vie de Joseph que ses frères voulaient anéantir, et l’a menée à son accomplissement, ce Dieu qui l’a toujours protégé ne peut pas lui permettre de tout détruire maintenant en dégradant la vie de ses frères. Ce dernier chapitre de la Genèse veut donc nous montrer que Dieu veut le SALUT des hommes, tous les hommes, même ceux qui ont gravement péché (les frères).
Joseph est-il extraordinaire en pardonnant à ses frères ? Nous aurions envie de le penser.
Car nous savons tous combien il est difficile de pardonner.
Dire « pardon » quand on a bousculé quelqu’un, cela c’est facile.
Mais vraiment pardonner, une vraie blessure, c’est autre chose.
S’il n’y avait pas eu Dieu, oui, Joseph serait extraordinaire. Mais avec Dieu à ses côtés, il est une personne comme vous et moi. Le secret de Joseph ? C’est la présence de Dieu en lui. Joseph est pourvu du plus grand des dons spirituels : les larmes. Joseph se laisse submerger par l’amour de Dieu. Ses pleurs sont comme un débordement.
Il reconnaît sa place : au milieu des autres, non pas au-dessus, comme s’il était Dieu. Il reconnaît que là où les frères ont voulu faire du mal, Dieu l’a transformé en bien. Et il reconnaît son devoir de faire de même.
Pour les frères de Joseph, le temps du pardon est donc arrivé. Il arrive toujours, le temps du pardon. Mais il ne vient pas tout seul. Il faut le demander, il faut le solliciter. Parfois même, il faut le mendier.
Celui qui demande pardon est obligé, en quelque sorte, de faire un constat d’échec, d’avouer que ce qu’il a fait n’était pas bon, obligé de reconnaître qu’il a tout faux. Dieu sait que ce n’est pas facile, et ceux d’entre nous qui ont fait l’expérience du pardon, savent combien cela en coûte de s’abaisser ainsi devant les autres. Mais il faut bien en passer par là si l’on veut se débarrasser de tout le poids de la culpabilité qui pèse sur sa vie.
Et nous, pouvons-nous pardonner ? Pouvons-nous affronter les mauvais souvenirs et réagir par l’offre de la réconciliation ? Pardonner, gracier est un acte de foi et d’espoir, un pari sur le repentir et donc sur le progrès de l’homme.
N’ayez pas peur ! Je ne suis pas à la place de Dieu.
Celui qui pardonne peut passer à autre chose, il peut s’approcher à nouveau, un peu plus, de Dieu.
Celui qui reçoit ces trois mots : « je te pardonne », tourne aussi la page, et surtout il peut recommencer à vivre, à vivre sans le poids de la culpabilité, sans la peur du jugement de l’autre.
La Bible ne juge pas. Elle raconte cette histoire, histoire qui se tient en face de nos histoires personnelles. Elle nous invite à remettre le mal de nos vies à Dieu pour qu’il le transforme, avant qu’il ne soit trop tard. Elle nous invite à ne pas rester prisonniers des vieilles histoires trop lourdes pour nous, mais de nous en sortir par le pardon.
Le pardon, le nôtre et celui de Dieu, le pardon est un don gratuit, un cadeau. Le pardon est une grâce, une guérison qui vient de Dieu. En fait le pardon rend le bien pour le mal.
Cette histoire rejoint bien la remarque de Jésus dans Mattieu 18 : le pardon est infini (70*7). Le judaïsme rabbinique discutait du nombre de pardons que l’on pouvait accorder. Il allait le plus souvent jusqu’à 4. Pierre est prêt à aller jusqu’à 7. Jésus répond 70*7, cad toujours (10 infinis *l’infini). Ce chiffre rappelle l’ancienne parole de Lamek qui (Genèse 4 24) serait vengé 77 fois (et Caïn 7 fois). La Genèse s’ouvre donc sur un absolu de vengeance et se ferme sur le pardon absolu.
Jésus est revenu plusieurs fois sur cette pensée : celui qui se ferme à la miséricorde montre par là qu’il n’a rien compris à l’amour de Dieu, à l’extraordinaire du pardon dont il est lui-même l’objet. Notre conférencier de mercredi rappelait cette merveilleuse découverte de Luther. L’homme est pécheur, mais Dieu lui accorde sa grâce. Il faut oser croire à ce pardon total de Dieu à notre égard.
Et alors, comment celui à qui Dieu fait grâce pourrait-il accabler son frère ? Il n’y a aucune comparaison possible entre le pardon de Dieu et celui que nous accordons à autrui, si grave que soit l’offense subie. Celui qui ne pardonne pas à son prochain va s’exclure lui-même de la communion avec Dieu.
Pardonner, que c’est difficile ! Et recevoir un pardon c’est aussi très difficile !
Mais à Dieu rien n’est impossible.
Amen