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Culte du 24 Janvier 2016
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Culte du 24 Janvier 2016
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1 Corinthiens 12 : 12-31 : L’unité dans la diversité
Nous venons de clore la Semaine Œcuménique, et ce passage bien connu de Paul qui exalte l’unité dans la diversité à propos d’une Eglise de Corinthe traversée par des querelles me semble tout à fait adapté à la conclusion de cet événement.
La première Épître aux Corinthiens est l’épître du corps : cette thématique traverse la lettre, qu’elle vise le corps personnel (1 Co 6) ou le corps collectif (1 Co 12), voire les deux, croisant la plupart du temps celle du baptême (1 Co 12) et de la Cène (1Co 10 et 11). La thématique touche ainsi aussi bien à l’être chrétien individuel qu’à l’ecclésiologie.
Dans un premier temps, je voudrais aborder la forme du texte en rappelant d’abord que la métaphore du corps humain appliquée à un corps social est connue du monde gréco-romain. En particulier, il y a la célèbre fable que le parlementaire Menenius raconte au cours d’un conflit entre la plèbe et le Sénat, fable rapportée par Tite-Live.
« Au temps où le corps humain ne formait pas comme aujourd’hui un tout en parfait harmonie, mais où chaque membre avait son opinion et son langage, tous s’étaient indignés d’avoir le souci , la peine, la charge d’être les pourvoyeurs de l’estomac, tandis que lui, oisif au milieu d’eux, n’avait qu’à jouir de plaisirs qu’on lui procurait ; tous, d’un commun accord, avaient décidé, les mains de ne plus porter les aliments à la bouche, la bouche de ne plus les recevoir, les dents de ne plus les broyer. Mais en voulant, dans leur colère, réduire l’estomac par la famine, du coup les membres, eux aussi, et le corps entier étaient tombés dans un complet épuisement. Ils avaient alors compris que la fonction de l’estomac n’était pas non plus une sinécure, et que s’ils le nourrissaient, lui les nourrissait en renvoyant à toutes les parties du corps ce principe de vie et de force réparti entre toutes les veines, le fruit de la digestion, le sang. Faisant alors un parallèle entre les révoltes internes du corps et la colère des plébéiens contre le Sénat, il les fit changer d’opinion ».
Je vous propose une autre illustration : nous avons vécu en pays songhaï près de Tombouctou au Mali. Lorsqu’ apparurent des voitures, dans cette région loin de tout, la langue songhaï n’avait bien sur aucun mot pour en désigner les différentes parties. Si bien que les roues sont devenues les « mobil tchéou », les pieds de l’auto, les pneus ses sandales, les phares ses yeux, etc…
Poussons un peu les choses : l’ensemble des pièces constitue une auto, mais celle-ci est sous-ensemble du parc automobile. On peut définir la spécificité d’un camion citerne , d’un camion poubelle , d’une ambulance, d’une utilitaire, d’une petite citadine, d’une berline routière, etc…Correspondant à des besoins, chacun-chacune a sa place et son utilité.
Cet anthropomorphisme appliqué aux « véhicules » comme on le dit en Afrique francophone, m’a bien amusé et m’a surtout aidé à simplifier les messages d’éducation sanitaire chez nous : un collégien comprendra mieux l’intérêt du petit déjeuner si vous lui parlez de panne d’essence pour sa mobylette en fin de matinée plutôt que d’hypoglycémie…
Dans ce passage bien connu, Paul, comparant l’Eglise au corps du Christ avec de multiples parties aux fonctions spécifiques mais aboutissant à une vraie unité, nous transmet un texte très anthropomorphique, mais cette comparaison a certainement favorisé la compréhension des Corinthiens et probablement leur prise de conscience collective.
Remarquons au passage l’utilisation que nous faisons du langage corporel, ne serait-ce que pour désigner le centre ou l’élément essentiel : ne dit-on pas le cœur de l’affaire, le cerveau de l’opération, l’oeil du cyclone, le nerf de la guerre, le nombril du monde, etc ? Ne parle-t-on pas des membres d’une association cultuelle?
Mais ce texte, en dehors de cette forme qui peut étonner, nous incite à la réflexion sur trois thèmes importants :
Le premier de cette épître est la réhabilitation du corps, un corps souvent malmené par bien des traditions chrétiennes. Qu’il s’agisse des mortifications que certains s’infligent pour punir le corps considéré comme l’instrument du péché ou qu’il s’agisse des privations que d’autres s’imposent pour se libérer d’un corps qui serait un frein au plein épanouissement de l’esprit, le corps a été parfois perçu comme une prison dont il fallait se libérer. Le corps a été perçu comme bien inférieur à l’âme qui méritait, seule, toute notre considération.
Impureté du corps, pureté de l’âme : que de controverses…Qu’est-ce que l’âme, quel est son siège , le cœur ou le cerveau ? Certains, convaincus de son existence matérielle ont même pesé des mourants au moment où ils rendaient l’âme, justement. La distinction corps et âme n’est pas matérielle dans la Bible. L’âme n’est pas la partie noble de l’homme, emprisonnée dans un corps de chair qui ne serait qu’un pis aller. L’homme est un corps charnel et il est question de l’âme toutes les fois où l’homme charnel se tourne vers Dieu, lorsqu’il vit devant Dieu. L’âme est cette capacité du vivant à se tenir devant Dieu et non une zone précieuse que l’on pourrait mettre à jour d’un coup de scalpel.
Ce regard positif sur le corps s’inscrit dans le droit fil de l’attitude de Jésus-Christ qui prenait soin des corps de celles et ceux qu’ils rencontraient ; Jésus qui ne s’adressait pas seulement à l’intelligence de ses interlocuteurs mais à tout leur être, leur prodiguant des soins corporels lorsque cela était nécessaire, s’adressant sans hésitation à leurs infirmités . Rappelons-nous aussi ses vives critiques à ses disciples lorsqu’une femme versa un parfum de grande qualité sur sa tête, pensons au nombre de repas décrits dans le Second Testament.
La Bible, nous rapportant l’incarnation de Dieu en son Fils et la résurrection de la chair à l’occasion de Pâques n’est-elle pas là pour nous rappeler que nous sommes des êtres de chair ?
Vous allez croire que j’oublie les excès de cette importance donnée au physique, le culte du corps de nos contemporains, le mythe de l’éternelle jeunesse, le triomphe de l’artifice, de la chirurgie esthétique et sa normalisation. Malgré ces excès, et pour des raisons qui ne paraissent plus directement religieuses, le corps n’a jamais été autant malmené, en témoigne cette pathologie en plein développement des troubles du comportement alimentaire comme l’anorexie et la boulimie…
Relisons donc Paul pour qui un être humain est un corps mais également a un corps !
Mais cette valorisation du corps, pouvant déboucher sur le narcissisme, l’individualisme ne doit pas nous faire oublier que notre corps n’est qu’un instrument de notre vie de relation avec notre environnement, avec les autres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nombre de troubles dits psycho-somatiques portent sur les fonctions de relation, par exemple la peau que nous montrons aux autres ou les maladies rhumatologiques qui nous affectent dans nos déplacements vers les autres.
C’est le second thème, celui du soutien, de la solidarité : les îlots que nous représentons n’ont pas été créés par Dieu pour être éparpillés dans l’immensité de l’océan mais pour former des archipels interdépendants . Dieu nous espère prenant soin les uns des autres, liés par une communauté de vie comme le sont tous les membres d’un même corps. Oui, ce que Dieu espère, c’est que nous fassions corps, véritablement, à la manière d’un corps humain, à la manière d’un corps social, à la manière d’un corps ecclésiastique ou de toutes les formes de corps que nous pouvons envisager. Faire corps, c’est-à-dire éprouver un sentiment de solidarité les uns envers les autres ;
C’est au minimum éviter que dans nos Eglises ne se reproduisent les inégalités de la société environnante et que nous ressentions cette appartenance à un tel corps, qui que nous soyons. C’est aussi pouvoir soutenir les plus faibles comme le bras valide soutient aussitôt le bras cassé, voire, comme dit Paul, apporter des honneurs à celui qui les mérite le moins. Dans la grande chaîne humaine, il y a des maillons faibles : essayons de diminuer la tension plutôt qu’amener l’autre à l’échec ou à la rupture.
Le baptême nous révèle que nous sommes toutes et tous liés les uns aux autres, en interaction permanente. Cette vision de l’homme permet de fonder une morale car ce que je fais aux uns, c’est à moi aussi que je le fais ou, pour le dire avec les mots de Dietrich Bonhoeffer, blesser quelqu’un, c’est défigurer le Christ. William Booth, fondateur de l’Armée du Salut, nous a donné également un beau texte social :
« Tant que ds femmes pleureront, je me battrai. Tant que des enfants auront faim, je me battrai. Tant qu’il y aura un alcoolique, je me battrai. Tant qu’il y aura une fille qui se vend, je me battrai. Tant qu’il y aura un homme en prison, et qui n’en sortira que pour y retourner, je me battrai. Tant qu’il y aure un être humain privé de la lumière de Dieu, je me battrai, je me battrai, je me battrai »
Il y a enfin dans les versets 1 à 12 une description des différents dons et charismes nécessaires à la bonne marche d’une Eglise : ce que j’appellerai la diversité enrichissante.
En protestantisme, l’unité pose problème et provoque rapidement une levée de boucliers – « touche pas à ma différence ». « L’unité oui, mais dans la diversité ». On agite à l’envi l’épouvantail de l’uniformité, comme si un protestant qui se respecte pouvait vraiment tomber dans ce panneau de l’uniformité…(Anduze, petite ville de 3500 habitants en Cévennes comptait il n’y a pas si longtemps 7 cultes protestants différents)
Cette vision de l’homme en relation d’interdépendance avec les autres n’est pas seulement une manière de promouvoir une solidarité d’entraide : il ne s’agit pas seulement de nous relier les uns aux autres, mais aussi de donner à chacun une place spécifique.
En écrivant que Dieu a placé chacun des membres dans le corps comme il l’a voulu, Paul nous rend attentif au fait que Dieu n’en finit pas de créer le monde , donnant à chacun une place spécifique et un sens à son existence. Il s’agit du grand thème de la vocation personnelle, cet appel par lequel Dieu nous invite à faire quelque chose de notre condition, de nos talents, de nos capacités propres.
Oui, l’humanité est une foule bigarrée dont nous sommes le visage, ce matin encore, tous différents les uns des autres, non seulement du fait de notre couleur de peau, de notre taille, de nos capacités physiques, mais aussi de nos intérêts, de nos talents, de nos fonctions.
Non, certainement, Dieu n’attend pas de nous que nous ne soyons qu’un grand cerveau bien fait. Nous le prierons lors de la bénédiction, Il nous espère avec des oreilles et des yeux ouverts sur le monde, avec des mains tendues vers notre prochain, avec des pieds et des jambes disponibles pour aller à la rencontre des autres, avec un cœur gros comme ça pour être assez endurant, avec des nerfs assez vifs pour être sensibles aux difficultés à vivre des autres.
C’est parce que nous vu combien l’unité est difficile à approcher (500 ans pour arriver à l’Eglise Unie Luthéro-Réformée…) que nous sommes des artisans de rassemblement et d’oecuménisme. C’est parce que nous assumons cette pluralité voulue par Dieu que nous sommes effectivement le corps du Christ.
Amen